logo

Miossec - 2020-09-17

Jeudi 17 septembre, il est 18h30. Brest a la vie douce, 26 degrés, une légère brume de chaleur. Oui, absolument. Sur la terrasse du Cabaret Vauban, antre de Miossec, je descends quelques bulles maltées les yeux en l’air. Des moments de plaisir. Quand j’y repense, j’ai découvert Boire quand j’avais 16 ans, au lycée. Il m’a bouleversé. Boire a 25 ans, un anniversaire pas comme les autres. Miossec arrive, simple comme il est, authentique et sans filtre. Immédiatement, on embraye comme si l’on s’était déjà vu la veille…

Mad Sounds : Christophe, Boire a 25 ans. C’est un album fondamentalement hybride et paradoxal. Des paroles au vitriol, rugueuses, une musique acoustique mais profondément punk… as-tu conscience qu’il a créé un choc dans le paysage musical en France ?

Miossec : Non, à l’époque j’avais du mal à comprendre. Je comprenais tout ce qu’on avait fait, ça c’était voulu. A l’époque, il y avait très peu de guitares acoustiques. Aujourd’hui, c’est un peu tarte à la crème… Mais à l’époque en concert, ça ne prenait pas. Tu as vu les concerts…

MS : Oui, il avait un esprit punk !

Miossec : Oui, mais sur disque, l’esprit punk était planqué…

MS : Quel regard tu portes sur cette époque de ta vie ?

Miossec : A l’époque, j’étais déjà trop vieux pour le métier quand j’ai commencé… J’avais arrêté la musique à 18 ans avant de reprendre. Mais à l’époque, l’idée, c’était vraiment de se trouver dans un fourgon à tourner et arrêter le monde du travail. On avait un sentiment de liberté vraiment dingue et on exploitait vraiment cette liberté. On n’était pas des gentils petits garçons, on aimait bien foutre le bordel. Et donc, comme beaucoup de gens, avoir l’autorité au-dessus, c’était agaçant ! Alors que de faire de la musique et faire les quatre coins de France en se baladant, c’est vraiment autre chose…

MS : Et c’est toujours le cas aujourd’hui ou est-ce que, à un moment donné, on s’en lasse, on devient blasé ?

Miossec : On fatigue à un moment donné oui… Le disque Boire avait influencé pas mal de gens et il y avait pas mal de trucs comme ça qui se baladaient dans le paysage. C’était devenu un fonds de commerce et, clairement, il y a eu des périodes pas marrantes.

MS : … et ton avis sur les raisons de ce culte voué à l’album ?

Miossec : Je pense que ça faisait quelque chose qui sortait de l’ordinaire. Par contre, je n’en reviens pas que ce soit un album référence aujourd’hui ! C’est peut-être aussi parce que le niveau de la musique française n’est pas super non plus…

MS : Avez-vous réussi durant la conception de Baiser avec le groupe à vous sortir de ce qu’était devenu Boire, en termes de succès commercial et critique ?

Miossec : C’est pour ça qu’on a fait Baiser dans un studio tout pourri du côté de Rennes. On n’a pas du tout voulu aller dans un gros studio exploiter le succès du l’album et surtout pas de faire un Boire 2. Les textes de Baiser ne sont pas du tout ceux de Boire, il y avait une envie de se renouveler, de ne pas faire les commerçants ! Un disque comme Boire, ça peut te couler… très rapidement, on ne jouait plus Boire en concert. J’avais envie de continuer dans la musique et ne pas rester à faire la même chose toute ma vie. On sait comment ça finit…

MS : On a souvent l’impression, lorsque l’on t’écoute et lit tes interviews, que tu souffres du syndrome de l’imposteur… Quand on a écrit des albums devenus cultes, que l’on a été parolier pour d’immenses noms comme Johnny, Jane Birkin, Bashung, Stefan Eicher, on garde à vie cette impression ?

Miossec : A force, ça va mieux… Mais pas vraiment. Avoir le syndrome de l’imposteur, c’est assez chouette car ça te met hors champs, tu n’es pas au premier degré. Tu vois la scène et tu te dis : « c’est quoi ce bordel ? ». Et tout te parait un peu magique, tu regardes ta vie en la contemplant de loin. Et puis surtout, ça te pousse à travailler. Si tu n’as pas ce syndrome tu peux prendre au sérieux tout ce que l’on dit sur toi… Tu peux avoir l’impression d’être génial, et tu n’avances pas. Il faut de la souffrance, sinon, ce n’est pas marrant.

MS : Boire est un album qui respire Brest comme aucun autre disque au monde. Un album prolétaire (dans le bon sens), un album souvent gris, un album portuaire, un album politique… Sais-tu comment ceux qui n’ont jamais vécu ici perçoivent l’atmosphère si particulière du disque ?

Miossec : Oui, il y a pas mal de gens qui sont venus à Brest après l’album et j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui ont été très déçus. C’était étonnant de voir des gens de Grenoble recevoir ça !

MS : D’ailleurs, quel est ton rapport à Brest ? Tu passes ta vie à partir et à revenir. C’est la ville de ton cœur, celle qui te donne tout et qui t’oppresse à l’occasion ?

Miossec : J’ai l’impression d’être dans la tradition brestoise, comme un sous-marinier ou un mec de la Jeanne. Tu montes dans un fourgon, eux montent dans un bateau… mais on fait tous des ronds dans l’eau. Plus je bouge, plus je vois le monde et plus j’apprécie ici. Et avec l’âge ça devient de pire en pire (rires). La vie est facile ici, les gens sont d’une gentillesse, il n’y a pas une putain de bourgeoisie qui nous fait chier. Il commence à y avoir des bars lounge mais bon (rires)…

MS : Tu te lances dans une tournée pour cet anniversaire… sans les acolytes d’origine. Ça t’a effleuré l’esprit de reformer Miossec avec le trio tel qu’il était à l’époque ?

Miossec : Oui… Oui mais Bruno et Guillaume ne se sont plus reparlés depuis 25 ans ! Ça pose un problème. Ils sont irréconciliables. Ça a été vraiment mouvementé à l’époque de Boire. Bruno faisait partie des Locataires dont Guillaume était le trompettiste. Bruno était le chef dans les Locataires, sur Boire, la première maquette c’était plutôt Guillaume et moi dans un premier temps… Guillaume a quitté Brest et maintenant il est sur Rennes… comme un exil. En même temps, je n’ai aucune idée de ce que ça vaudrait aujourd’hui. Est-ce qu’il y aurait le jus de l’époque ? Je ne suis pas sûr en fait…

MS : Avec le line up d’aujourd’hui, allez-vous réinventer Boire ou lui rendre cette épuration un peu bagarreuse ?

Miossec : Oui, ça n’aurait pas de sens de réarranger Boire, de le sophistiquer, de l’améliorer. Il faut le jouer au plus sec. Si déjà on est capable de le reproduire avec le ventre, c’est déjà beaucoup ! Mais, y intégrer de nouveaux arrangements je ne crois pas. Ou alors, il faut être extrêmement intelligent et je ne le suis pas assez peut-être… Autant, il y a des morceaux que je m’amuse à réarranger, mais revenir avec une nouvelle version de Boire, non !

MS : Ça veut dire que l’on va réentendre Christophe Miossec « beugler » ? Il y a quelques années, tu expliquais qu’il n’y avait rien de plus génial que d’enfourcher un micro et hurler dedans…

Miossec : Ah ouai ! Tu déblatères tes textes et tout le truc, mais le vrai pied c’est quand tu te mets à beugler, c’est là où je prends le plus de plaisir !

MS : Quand on y pense, c’est assez délirant d’annoncer des dates de concerts au moment tout le monde les annule… Il y a une certaine forme de résilience dans ce choix ?

Miossec : C’est la première fois en 25 ans que je fais une tournée des salles assises, je n’ai jamais fait ça auparavant. Et la seule fois où je le fais, c’est la seule chose qui est permise ! Je touche du bois… C’est un peu délirant.

MS : Donc, ça veut dire que même dans le contexte Covid, tu avais prévu de faire une tournée en salles assises ?

Miossec : Ouai, c’était ça qui était prévu. Si ça avait été une tournée traditionnelle comme je fais d’habitude, tout aurait été par terre ! C’est louche (rires !) Ce coup-ci, on voulait faire la tournée des scènes nationales, être dans un truc de chansons.

MS : C’est aussi une synthèse de ta carrière, puisque vous allez jouer aussi d’autres titres, des chansons que tu as écrites pour d’autres…

Miossec : Oui, je n’aurais pas pu faire que Boire, il fait un peu plus de 35 minutes ! Les premiers concerts, on le jouait deux fois ! On ne faisait même pas un rappel, on le rejouait deux fois !

MS : Vendredi (18 septembre) sort Falaises ! un EP 4 titres co-écrit avec Mirabelle Gillis… le disque est épuré, lui aussi assez gris et chanté à deux voix. Comment as-tu vécu l’expérience de marier ou confronter ta voix à celle de Mirabelle sur 4 titres entiers ?

Miossec : En fait, c’est Mirabelle qui a fait toute la musique et l’écriture c’est moi. C’est vrai que c’est du duo au chant. On n’avait jamais eu l’idée de faire un duo ensemble, elle ne voulait pas chanter. Avec le confinement, elle s’est mise à chanter et m’a demandé un texte. Je lui ai filer un texte et puis j’ai chanté dessus avec elle. On n’a jamais intellectualisé le truc. Elle s’est mise au boulot comme une tarée et j’ai suivi. Ce n’était pas prévu !

MS : Quelle est la trajectoire à suivre suite à l’EP, un album ?

Miossec : Moi, j’ai envie de continuer… Et puis, j’ai toujours ce côté chiant et provocateur, je suis content de fêter les 25 ans de Boire et on sort un truc qui n’a rien à voir à côté (rire !). Les paroles, la voix, rien à voir… ça nous a fait marrer.

MS : Finalement, qu’est-ce qui reste à accomplir pour Miossec ?

Miossec : Houlà ! (temps de réflexion) Faire des bons morceaux, c’est quand même très agréable de faire un bon morceau. Sachant qu’il en faut beaucoup de mauvais pour en faire un bon (rires) ! Et puis, tu ne sais jamais avec l’âge à quel moment il faut fermer la boutique. Il n’y a pas de manuel. Je me pose beaucoup la question…

MS : Tu ferais comme Dylan un jour, une tournée qui ne s’arrête jamais ?

Miossec : L’exemple de Dylan, je le trouve fabuleux car, quand il sort un mauvais disque, je suis vachement content ! Ça humanise. Sauf que son dernier disque est magnifique et il le sort à 80 balais ! Il faut juste adorer cette vie-là. Je raffole de la vie de tournée, des journées qui ne se ressemblent pas. Il n’y a rien de fatiguant là-dedans.

MS : Faire de la promo, pour toi, c’est un passage obligé ?

Miossec : Ben j’aime bien quand ça se passe comme ça ! Je passe rarement à la télé, c’est un autre monde. Alors que des moments comme ça, ce sont des capsules, c’est tous les deux ans. C’est un moment où ça m’apporte des trucs. Ça t’oblige à mettre des mots sur des choses qui sont un peu floues. Et du coup, je prends ça comme une sorte d’hygiène. Ça me nettoie ! Du coup, tu n’emmerdes plus ton entourage, t’as tout vidé. Tu es très économe avec ton entourage sur ce que tu fais, tu ne la ramènes pas et tu parles d’autres choses.

Merci à Christophe pour sa simplicité exemplaire, son humour gentiment caustique et surtout pour ce moment d’une sincérité absolue.

Propos recueillis par Jean

Photo : Richard Dumas

Partagez